Personnellement, je ne trouve pas que Shalimar fasse très daté. Comme toute création majeure, il résiste mieux que bien à l’épreuve du temps, preuve qu’il est et demeure un chef d’œuvre odorant. Il a toujours eu mes faveurs. Bien qu’il ait été conçu à la gloire d’une féminité certaine, sensuelle et douce, je ne le trouve pas improbable sur un homme, et j’avoue que, quelquefois, je l’ose.
Pour la petite histoire, Shalimar a été créé en 1921, comme le 5 de Chanel, c’est d’ailleurs leur seul point commun. A vrai dire, le premier créait par Jacques Guerlain, ne connut la gloire qu’on lui connaît qu’à partir de 1925. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il fut lancé aux Etats-Unis, en avant-première, à la suite d’un bienheureux hasard survenu à bord du paquebot Normandie, lors d’une traversée vers New York de Raymond Guerlain et son épouse. Celle-ci, qui testait la senteur, fit sensation. Tous les passagers lui demandèrent quel était le nom de ce mystérieux effluve. La suite, on la connaît : un triomphe fulgurant qui ne s’est jamais démenti.
Il est toujours difficile d’analyser les raisons d’un tel engouement. Shalimar est étrange, paradoxal, doux sans être sirupeux. Si la vanille en surdose joue le rôle majeur avec un brio inégalable, la composition n’en est pas moins étrangement fraiche. C’est là son luxueux mystère, que je ne me risque pas à disséquer. Des parfums qui tiennent le coup – et les ventes – depuis quatre vingt dix ans, on les compte sur les doigts d’une seule main. Si j’évoque Shalimar dans ce billet, ce n’est pas pour lui faire des compliments, il en a eu beaucoup, largement mérités, mais c’est que la maison Guerlain a décidé de faire un nouveau Shalimar, un Shalimar générationnel. Il est facile de comprendre qu’une jeune femme actuelle n’a pas forcément envie de porter le parfum de sa grande tante. Ca fait toujours un peu peur de se glisser dans les atours de tatie. De là à dire que Shalimar n’est plus dans le coup, qu’il n’est plus qu’une vieille rombière juste bonne à la retraite, ce serait lui faire un satané affront.
Il est vrai que les parfums de ces années là avaient tendance à cogner un peu, mais, sans nul doute, on se parfumait aussi avec plus de parcimonie. Bienheureux temps ! Il est également certain que ces derniers comportaient pas mal de facettes animales qui, aujourd’hui, datent et peuvent déranger un tantinet. On ne peut pas toujours jouer au vieux ronchon en s’écriant, touche pas à mon Shalimar. Notons, par ailleurs, que pour les nostalgiques la version historique demeure. C’est Thierry Wasser, le distingué nez de Guerlain, qui s’est collé à la version Shalimar Parfum Initial. Revoir « son » grand classique semble être une envie chez quelques grands parfumeurs. On se souvient que Chanel, sous l’impulsion du talentueux Jaques Polge, a sorti un N°5 – Eau Première qui, je dois le dire, est des plus réussis. De son côté Nina Ricci s’apprête à lancer un version « moderne »de l’Air du Temps qui se nommera l’Air, et c’est plutôt joli aussi.
Qu’en est-il pour Guerlain ? De prime abord, la différence entre les deux versions eau de parfum n’est pas si flagrante, l’ambiance et le charme Shalimar sont bien là. La structure originelle n’est pas tellement bouleversée, on reconnaît facilement certaines matières premières d’antan, vanille et bergamote. Néanmoins, lorsqu’on hume de près le petit nouveau, on se rend compte que l’équilibre entre les notes n’est plus tout à fait la même. A vue de nez, les notes florales, rose et iris, se font davantage remarquer, on perçoit également quelques notes fruitées. Le tout est rondement mené grâce à un grand souffle d’hédione. Oui, l’ensemble fait plus jeune, du moins tel qu’on l’imagine de nos jours, mais sans tomber dans une fragrance pour Lolita prépubère. C’est agréable, fatalement chic, forcément très Guerlain, toujours aussi doux, très d’aujourd’hui. Si la tenue est impeccable, le sillage semble plus aérien et un petit peu moins présent que dans la version ancestrale. Au final, cet exercice qui aurait pu être un vrai casse-gueule s’avère être une belle réussite interdite au moins de dix huit ans et au plus de quatre vint ans.
Shalimar, Parfum Initial, eau de parfum 100ml, 104€.