Serge Lutens rêve la vie au travers de ses parfums. Il voyage en solitaire dans le temps, dans l’espace, dans les essences. Poète de l’odeur, il signe une parfumerie d’ auteur , dont il a seul le secret. Aux yeux de la société, il vit comme un ermite à l’abri d’un palais fermé, dans son laboratoire de parfums à Marrakech, au coeur de la Médina. Mais sa solitude est son luxe et son monde à lui est peuplé de personnages fantasques et imaginaires, dont il nous raconte les histoires. « Pour vous belles éthérées ! Peau blanche et serge noire… » vient-il d’ écrire pour présenter sa dernière création « Serge Noire ». Un parfum incandescent, dont il rappelle avec humour que le nom ne présente pas de faute d’ orthographe !
Les parfums sont son encre, son écriture. « Je ne pars jamais d’ une odeur : le parfum n’ appartient pas qu’ à l’ olfactif. Il est littéraire », dit-il. Artiste aux multiples talents reconnus, il est un esthète en quête d’ essentiel, qui va chercher en lui chaque inspiration. Plusieurs années et beaucoup de silence sont nécessaires à la création d’ un parfum, qui ne peut selon lui que naître de l’ introspection. En 1982, il crée chez Shiseido son premier parfum, Nombre Noir, dont le flacon noir aux lignes épurées contient déjà tout son style. En 1990, Féminité du Bois jaillit de son monde érudit et inaugure un genre inédit autour du cèdre de l’Atlas. Pour mettre en scène son parfum, Serge Lutens crée sous les arcades du Palais Royal un lieu unique et symbolique, dont il imagine la décoration dans les moindres détails. Un endroit mythique et lunaire, qui fut inauguré en 1992. Depuis 16 ans, Serge Lutens a composé une succession bien orchestrée de quarante – six parfums singuliers aux noms et aux senteurs inattendues. Ambre Sultan, magistralement sensuel et oriental, est un des fleurons de cette collection de parfums rares. Le prochain, « Nuit de Cellophane », un osmanthus de Chine où le jasmin aurait « volé l’écorce de la mandarine », se dévoilera à nous début janvier en exclusivité aux salons du Palais Royal !
Par de fortes convictions et avec beaucoup de courage, Serge Lutens a redonné au parfum ses lettres de noblesse. Libre, il continue d’ aller hors des sentiers battus, à la recherche de l’ enchantement, dans un effort perpétuel de création et de perfection. Le parfum nourri de son passé, se met à avoir de l’ avenir, à se redécouvrir riche de matières oubliées. Serge Lutens fait du parfum un luxe véritable, davantage qu’ un simple écart. Grâce à lui, le parfum est entré en résistance et touche L’ Idéal, celui de la beauté, que Serge Lutens définit comme « le moment où vous relevez la tête, où vous prenez conscience de ce que vous êtes. »
Serge Lutens est un être rare, que je remercie d’ avoir accepté de répondre au questionnaire de Proust !
1. Le principal trait de votre caractère ? Une recherche critique de ma vérité, hélas, impossible à trouver.
2. Votre rêve de bonheur ? Je n’en rêve pas, il se présente. Son nom lui a fait beaucoup de tort.
3. La musique qui vous transporte ? De Duke Ellington à Coleman Hawkins, en passant par Bach, Mozart, y compris pas mal d’autres… elle me pénètre.
4. Votre couleur préférée ? Le noir la contient : le violet bleuté.
5. Vos héros ou héroïnes dans l’histoire ? Tous ceux qui arrivent et continuent de s’exprimer grâce et contre une opposition effrayante.
6. Vos héros ou héroïnes dans la fiction ? Le Bon Dieu, le Diable et ceux qui s’en servent bien.
7. Vos héros ou héroïnes dans la vie réelle ? Rimbaud parce qu’il disparait, Mishima par son sepuku, Genet parce que sa démarche est désespérée. Ceux qui veulent aller plus loin, ceux qui devinent qu’ils ne peuvent aller plus loin.
8. Le lieu qui vous ressemble ? Ils me ressemblent à l’instant où je les formule et les quitte. Les lieux sont en moi.
9. Un accessoire qui parle de vous et dont vous ne vous séparez pas ? Un livre mais il change.
10. Un livre que vous ne quittez pas ? Les livres que j’aime me quittent, mais demeurent en moi.
11. Votre peintre préféré ? La toile qui vous emballe ? Je ne peux répondre par une personne ni par une toile. C’est l’intensité et la formulation qui peut m’enthousiasmer. Je pourrais dire « Les demoiselles d’Avignon » de Picasso, le coup de rasoir dans la toile blanche de Fontana, ou « Scène de rue berlinoise » de E. Kirchner.
12. Le plus délicieux moment de la journée ? Il n’est pas fixé. Il est selon.
13. Votre repas idéal ? Une fine de Claire minuscule, avec une perle prodigieuse !
14. Votre boisson favorite ? L’eau gazeuse ou le champagne.
15. Avez-vous un parfum fétiche ? Fétiche non, mais je porte « Cuir Mauresque ».
16. La matière première naturelle qui vous inspire le plus ? Toutes celles qui grésillent en brûlant.
17. Votre première rencontre avec un parfum ? La méfiance, le nez est un évaluateur, puis…
18. De quel(s) parfumeur(s) admirez-vous le style ? Le style s’acquiert. On n’y est pour rien. Je me suis intéressé aux parfums parce que ceux que je sentais, ne me donnaient pas la réponse que j’attendais.
19. Votre palette idéale ? La nuit, les étoiles, un sous-bois, une mer profonde.
20. Jean Patou disait: « Ne faites rien de laid, on pourrait vous l’acheter », qu’est-ce que vous en pensez? Il ne le savait pas : c’était un précurseur !
21. Quelle est votre vision du parfum de demain ? Il est une réaction et par la conception, une action. Les questions de l’abus donnent toujours la réponse.
22. Votre devise de parfumeur ? C’est le parfum qui donne la réponse. Il est la devise, il la donne.
23. Etat présent de votre esprit ? Joyeusement désespéré !
Parfums Serge Lutens, Salons du Palais Royal. 25, rue de Valois. 75 001 Paris. Tél. : 01 49 27 09 09