Telle une cigale en temps de crise, j’étais partie, sur talons aiguilles, écouter le chant des grillons dans les Salons du Palais Royal. L’été n’était pas encore arrivé, la bise bien venue, mais Serge Lutens, rieur et frondeur, nous avait créé une pinède olfactive. Oubliez le pin des lessiviers et laissez – vous bercer par cette image mentale qui comble nos mémoires. Des aiguilles de pin, une chaleur ombragée, le soleil dont on perçoit avec douceur les rayons, la peau brunie qui dégage une odeur d’été et de fruits épicés. Cri, cri, cri, cri, l’ avez-vous dans les oreilles le chant de la cigale assez folle pour chanter ? Si vous voulez vous offrir cette petite madeleine, filez au Palais Royal, sentez De fille en aiguilles, un boisé oriental gorgé de résine de pin, chauffé de vétiver et d’encens, aiguisé de fruits confits dans les épices. Ne cherchez pas davantage à comprendre la fourmi qui se cache derrière cette fable, remontez juste le fil d’ Ariane. Serge Lutens aime la matière, la prend en partenaire principale, la sculpte à son gré, cassant les bienséances et les idées reçues. Pour moi, le dernier cri de Paris serait un garçon assez fou, pour porter un parfum au nom de fille ! Quelle clairvoyance !
Un bonheur n’ arrivant jamais seul, Fourreau Noir se révèle à moi dans toute la splendeur et la sophistication d’ un tombé impeccable. Du velours de parfum, une fluidité exquise. J’ imagine cette femme, celle que Serge Lutens porte en lui depuis si longtemps, hanter par un soir d’ hiver les arcades du Palais Royal. Elle est fatale, précieuse, presque sacrée. Sa démarche ondule en volutes d’encens et de myrrhe. Son sillage de fève Tonka régale nos narines : une douceur vanillée, un peu de foin coupé et la chaleur musquée de cette merveille de la nature, que les Indiens prenaient pour porte-bonheur. On distingue juste une pointe de lavande, qui n’ a rien de médicinal, rien de barbier mais qui ajoute une note apaisante à ce tableau d’ hiver. Cette femme s’ est évanouie dans ma pensée, j’en garde le parfum et l’ envie tranchante de le porter. Fourreau noir ? oublions l’ endroit où l’ on met son poignard et restons au Palais-Royal, celui des Incroyables et des Merveilleuses, redingote et fourreau de velours noir.